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Chronique Grand GenèveEt si la région franco-valdo-genevoise s’inspirait de l’Eurodistrict de Bâle?

Claude Haegi, président de la Fedre.
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Le philosophe et essayiste Denis de Rougemont (1906-1985) voyait dans les coopérations transfrontalières des sortes d’ateliers permettant peu à peu de construire l’Europe par le bas.

Or aujourd’hui, la dimension européenne est loin de jouer le même rôle à Bâle et à Genève. Qu’est-ce qui différencie la coopération transfrontalière dans ces deux agglomérations? On répondra que celle de Genève est binationale et monolingue, tandis que celle de Bâle est trinationale et bilingue.

Mais il y a plus. Alors qu’à Bâle, en Alsace et dans le pays de Bade, on insiste beaucoup sur la vocation européenne de ce qui est entrepris, cette insistance se fait si discrète entre Genève, la Haute-Savoie et l’Ain qu’elle passe souvent inaperçue. Les acteurs de ces deux coopérations ne semblent donc pas mus, en profondeur, par les mêmes motivations. Ainsi l’agglomération transfrontalière de Bâle s’appelle-t-elle «Eurodistrict trinational de Bâle», alors que celle de Genève a été nommée, tout simplement, «Grand Genève». Ces aspects semblent symboliques, mais ils sont importants car ils dénotent un certain état d’esprit.

Confédération et cantons respectifs investissent massivement dans les deux agglomérations. En revanche, la différence vient du secteur privé. À Bâle, des entreprises suisses (par exemple, les géants de la chimie) délocalisent volontiers en France et en Allemagne voisines, y créant ainsi de nombreux emplois. Ils y voient aussi une porte d’entrée vers le marché intérieur de l’Union européenne (UE).

C’est peu dire qu’on ne constate pas un tel phénomène dans le Grand Genève, en dépit de l’existence de la technopole d’Archamps, en Haute-Savoie, aux portes de Genève. Certes, la faiblesse du secteur secondaire à Genève fournit une part de l’explication. Toujours est-il que cela empêche de sortir du schéma initial des accords de 1973: grosso modo, Genève fournit les emplois et la France voisine amène de la main-d’œuvre que Genève ne peut pas héberger.

Toutefois, avec un nombre de frontaliers qui a triplé en vingt ans, il est aujourd’hui indispensable que ce schéma évolue. Il devient en effet responsable de déséquilibres de moins en moins supportables et d’une déstructuration du tissu social de la France voisine, sans parler d’un déficit d’image des travailleurs frontaliers chez un nombre significatif de Genevois.

À ce propos, une enquête récente de deux universitaires lausannois, Oscar Mazzoleni et Andrea Pilotti, publiée dans «National Populism and Borders» en 2023, indiquait que le modèle bâlois de relations transfrontalières était de type «coopératif», tandis que celui de Genève se rapprochait d’un type qualifié de «conflictuel», caractérisant, selon eux, ce qui se passe au Tessin.

François Saint-Ouen, secrétaire général de la Fedre.

Lors du 60e anniversaire de la Regio Basiliensis en octobre 2023, il était frappant de voir combien les cantons du nord-ouest de la Suisse redoublaient d’efforts envers leurs voisins français et allemands, pour essayer de garder un bon niveau de relations avec l’UE malgré la rupture en 2022 (par la Confédération) des négociations d’un projet d’accord-cadre avec Bruxelles. Bâle, coupée du plateau suisse au sud par le massif du Jura, regarde depuis des siècles vers ses voisins du nord et de l’est, situés le long du Rhin. En revanche, la crainte de la Genève protestante de subir l’influence de ses voisins catholiques a longtemps engendré une attitude inverse.

Aujourd’hui, ce sont des investissements suisses qui financent les infrastructures de transport dans l’agglomération alsacienne de Saint-Louis à la frontière française, explique sa maire, Pascale Schmidiger. La ligne du tram 8 de Bâle avait déjà été prolongée vers Weil am Rhein, en Allemagne, en 2014. Et c’est en 2017 que le tram 3 a été prolongé par les Basler Verkehrs-Betriebe (BVB) vers la gare de Saint-Louis, devenant ainsi transfrontalier vers la France. Dans ce domaine, le grand sujet des prochaines années sera la desserte par rail (6 km de connexion) de l’aéroport de Bâle-Mulhouse, seul aéroport binational au monde et qui porte d’ailleurs le nom d’EuroAirport, y associant les Allemands. Les Suisses poussent dans cette direction: ils sont prêts à financer une bonne part des 450 millions d’euros estimés pour une mise en circulation en 2035. 

Là aussi, l’Eurodistrict de Bâle peut donner des idées. On a vu que la partie suisse, pourvoyeuse d’emplois frontaliers, investit beaucoup dans les infrastructures de transports ferroviaires et aéroportuaires, ainsi que fluviales pour ce qui est de l’aménagement des ports le long du Rhin, afin que le trafic de marchandises puisse remonter dans de bonnes conditions jusqu’à Bâle.

Mais le mouvement n’est pas à sens unique. Le but est de développer des solidarités. Par exemple, l’Alsace s’engage à soutenir les Bâlois dans leurs relations avec l’UE. Cela concerne, entre autres, le niveau universitaire et de la recherche, victime de «sanctions» de l’UE à la suite de l’échec des négociations d’un accord-cadre bilatéral. La solidarité régionale s’exerce également pour maintenir le régime actuel de la navigation sur le Rhin. Cette question relève du droit international et est réglée par la Convention de Mannheim de 1868. Mais l’UE voudrait y reprendre la main, ce qui affaiblirait la partie suisse qui n’en est pas membre.

Une dernière anecdote, de nature à frapper les esprits: l’Alsace a décidé d’écrire aux organisateurs de l’Eurovision 2025 en Suisse, afin d’apporter son soutien à la candidature de Bâle.

* Créée à Genève en 1996 dans l’orbite du Conseil de l’Europe, la Fedre s’intéresse depuis toujours aux régions transfrontalières. En 2023, elle a noué un partenariat avec le Crédit Agricole next bank pour étudier l’effet frontière sur le pourtour de la Suisse dans divers domaines, dont certains échappent à l’attention du grand public.

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