AboMobilité post-CovidVit-on plus loin du boulot lorsqu’on télétravaille?
Un trajet pendulaire sur cinq est évité grâce au télétravail, révèle une récente étude de l’UNIL. Mais les distances domicile-travail s’allongent. On vous explique en graphiques.
L’Observatoire universitaire du vélo et des mobilités actives de l’Université de Lausanne a enquêté sur les impacts du télétravail sur nos comportements de mobilité.
Et les résultats sont étonnants. Car contrairement aux bouleversements annoncés lors de la pandémie, on ne constate pas un exode de personnes qui s’installent «au vert», en rase campagne ou en montagne, du fait de la possibilité de télétravailler. Mais celles et ceux qui le pratiquent, habitent effectivement plus loin de leur lieu de travail.
En effet, le télétravail allège la «contrainte de proximité» entre le domicile et le lieu de travail, qui exigerait qu’on réside à une distance raisonnable de son lieu de travail afin de réduire le temps et les coûts de transport.
Le but de la recherche était notamment de voir comment cette contrainte évolue face au travail hybride, mais aussi de voir son impact sur les déplacements pendulaires, qui représentent environ un quart de nos trajets quotidiens.
Pas d’exode vers les campagnes
Première surprise, l’étude révèle que les télétravailleurs ne s’éloignent pas de leur travail lorsqu’ils déménagent. On constate même l’inverse. Les télétravailleurs qui ont déménagé récemment ont eu tendance à s’en rapprocher.
«C’est un des résultats les plus surprenants. Car même si le télétravail permet un allégement de la contrainte de proximité domicile-travail, cela ne génère pas des mobilités résidentielles importantes», commente Emmanuel Ravalet, un des auteurs de l’étude. Autrement dit, les individus n’ont pas massivement déménagé vers la campagne suite à l’adoption du télétravail, contrairement à certaines craintes exprimées lors du Covid.
Il tempère néanmoins ces résultats encore récents. De nombreux télétravailleurs étant nouvellement confrontés à cette situation, ils n’ont pas encore eu le temps de s’approprier les nouvelles possibilités qui leur sont offertes, et de les convertir en mobilité résidentielle.
Des emplois plus distants
Est-ce qu’on télétravaille parce qu’on habite loin de notre lieu de travail, ou est-ce qu’on habite loin parce qu’on télétravaille? Un des objectifs de cette recherche est de savoir dans quel sens l’allégement de la contrainte de proximité opère.
Si l’on déménage loin parce que l’on peut télétravailler, cela peut engendrer un fort «effet rebond», soit une augmentation des déplacements. «Par contre, si l’on télétravaille parce qu’on habite loin et que l’on n’avait pas d’autre solution, cela a plutôt un impact positif, en réduisant les longs déplacements grâce au télétravail» ajoute le chercheur.
Les résultats de l’étude révèlent que jusqu’à présent, la causalité va plutôt dans le deuxième sens. Les télétravailleurs sont prêts à prendre un emploi plus distant lorsqu’ils en changent.
Les distances domicile-travail
Il y a un lien statistique fort entre les distances domicile-travail et le télétravail. Et ces distances sont plus importantes pour les télétravailleurs. Pour celles et ceux qui le pratiquent depuis la maison, cette distance est en moyenne de 24 kilomètres, soit 40% plus longue que pour les personnes qui ne télétravaillent pas (17 km).
Par ailleurs, la distance domicile-travail est fortement liée à la fréquence du télétravail. Plus le nombre de jours télétravaillés augmente, plus la distance est importante. Alors que cette distance est de 23 kilomètres en moyenne pour les personnes qui télétravaillent de 1 à 2 jours par semaine, celle-ci augmente à 28 km pour celles qui y recourent 3 jours et plus.
L’étude révèle aussi que cette distance est plus élevée chez les personnes qui télétravaillaient déjà avant la pandémie, que pour celles qui l’ont adopté depuis. Lorsque l’on regarde les distances parcourues et évitées, on constate que ces deux groupes parcourent la même distance chaque semaine, mais que les télétravailleurs de longue date compensent un éloignement plus important par une fréquence de télétravail plus élevée.
L’étude estime que le télétravail à domicile évite environ un trajet pendulaire sur cinq.
Effet de seuil
On constate aussi un effet de seuil. Les proportions de télétravailleurs restent stables jusqu’à une distance de 20 kilomètres, représentant entre un quart et un tiers des actifs.
Au-delà de cette distance, la proportion de télétravailleurs augmente, et à plus de 40 kilomètres, ils constituent la moitié des actifs.
Moins de voitures
Lorsque l’on regarde l’utilisation des modes de transport, les télétravailleurs prennent en proportion davantage les transports publics (40%) que les actifs non-télétravailleurs (27%), et le recours à la voiture y est moins fréquent (50% contre 60% pour ceux qui ne télétravaillent pas).
Les «effets rebonds»
«Il y a un discours selon lequel le télétravail permettrait de réduire toute une série de problèmes de mobilité, alors que ses conséquences sont complexes et produisent des effets rebonds», explique Emmanuel Ravalet.
Les vertus qu’on prête au télétravail sont multiples. Il pourrait permettre de désengorger les axes routiers et les transports publics, en particulier aux heures de pointe. Le télétravail pourrait aussi réduire les distances totales parcourues, faire baisser les émissions de CO₂ et de polluants, et réduire ainsi l’impact climatique et environnemental du transport.
Mais il peut également entraîner des «effets rebonds», c’est-à-dire engendrer une augmentation globale de la mobilité.
Par exemple, le temps gagné par les télétravailleurs qui ne se déplacent plus au bureau pourra être réinvesti dans des déplacements supplémentaires, pour des motifs non liés au travail, tels que les loisirs ou la garde des enfants.
Et le télétravail peut surtout entraîner une relocalisation de nos activités. Du fait qu’on ne doive plus s’y rendre tous les jours, il devient acceptable de parcourir de plus grandes distances, et de générer ainsi une consommation accrue de transport.
Orienter le télétravail
Le télétravail en Suisse n’est ni réglementé, ni orienté, alors que la pandémie a provoqué une forte croissance des télétravailleurs, et que ses effets sont complexes et insuffisamment documentés. En les comprenant mieux, il est possible d’orienter son développement de manière à favoriser les effets positifs et à limiter les effets rebonds.
Cette question intéresse tout particulièrement les acteurs qui planifient les infrastructures de transport à moyen et long terme. Il est nécessaire pour eux de comprendre les implications de cette évolution du monde du travail, et leurs impacts sur la mobilité.
Cette étude apporte quelques éléments de réponse, et démontre dans l’immédiat qu’il n’y a pas de relocalisation résidentielle portée par le télétravail. Toutefois les choix de domicile sont complexes. Ils s’inscrivent dans le temps long, et ne sont de loin pas uniquement liés à la distance domicile-travail. «Le recul de cette étude est encore insuffisant pour conclure à l’absence de mobilité résidentielle à moyen ou à long terme», conclut Emmanuel Ravalet.
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